L’histoire hallucinante des vaches abandonnées sur une île et laissées à elles-mêmes pendant 130 ans !

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Par les auteurs Laurence Flori, Directrice de recherche, génétiquegénétique animale, UMR SELMET, Inrae ; Mathieu Gautier, chercheur en génomiquegénomique statistique et évolutive des populations, Inrae ; Tom Druet, Directeur de recherche au FRS-FNRS, Université de Liège ; François Colas, Inspecteur de santé publique vétérinairevétérinaire, retraité ; Thierry Micol, Chef de service LPO. 

L’étude génétique de cette population a permis de répondre à de nombreuses questions : D’où venaient ces vaches ? Comment ont-elles pu survivre et s’établir sur une île a priori hostile ? Mais elle en soulève d’autres. Était-il par exemple nécessaire d’éradiquer ces bovins redevenus sauvages en 2010 ?

Certains espaces naturels préservés accueillent des populations animales étonnantes, capables de s’adapter à des contextes inattendus. Un exemple intriguant en témoigne celui d’une population de bovins retournés à l’état sauvage (processus appelé féralisation), après avoir été abandonnés sur l’île subantarctique Amsterdam, au sud de l’océan Indien, sur laquelle ils ont vécu en toute autonomieautonomie jusqu’en 2010.

Une île inhospitalière balayée par les vents

Située à 4 440 km au sud-est de Madagascar et comparable en taille à Noirmoutier, cette île est soumise à un climat océanique tempéré, balayée par des vents constants et parfois violents, et exposée à des précipitations fréquentes, notamment l’hiverhiver. Elle est également dépourvue de points d’abreuvement permanents, ce qui la rend à première vue incompatible avec la survie d’un troupeau de bovins. La seule présence humaine y est assurée par la base scientifique Martin-de-Viviès, établie en 1949.

L’île la plus isolée du monde en proie aux flammes : une biodiversité unique en péril et les scientifiques obligés de fuir !

Depuis 2006, l’île Amsterdam fait partie de la réserve naturelle nationale des TerresTerres australes et antarctiquesantarctiques françaises (TAAF), un sanctuaire de biodiversitébiodiversité, inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.

D’après les documents historiques, quelques bovins y auraient été probablement abandonnés à la fin du XIXe siècle. Contre toute attente, ces animaux ont non seulement survécu mais également prospéré, leur population atteignant près de 2 000 animaux en quelques décennies. Mais d’où provenaient ces animaux, et comment ont-ils pu s’établir sur l’île et s’adapter à un environnement à première vue inhospitalier, en redevenant sauvages ? C’est l’histoire singulière de cette population bovine que nous avons retracée à partir de l’étude du matériel génétiquematériel génétique de 18 animaux, extrait d’échantillons prélevés lors de deux campagnes d’étude remontant à 1992 et 2006.

Quand la génétique éclaire l’histoire

En analysant les différences entre les génomes de ces animaux, nous avons tout d’abord mis en évidence une diminution significative, mais brève de la taille de la population vers la fin du XIXe siècle. Ce résultat réfute l’hypothèse d’une présence plus ancienne de bovins laissés sur l’île par des navigateursnavigateurs. Il confirme en revanche le scénario historique le plus consensuel, selon lequel cinq ou six bovins auraient été abandonnés sur l’île en 1871 par un fermier, nommé Heurtin, et sa famille, originaires de La Réunion. Partis avec quelques animaux pour s’installer sur l’île, la mettre en culture et entamer une activité d’élevage, ils n’y sont finalement restés que quelques mois. Ils ont été contraints de retourner à La Réunion par les conditions climatiques difficiles, les problèmes d’adaptation et l’isolement, en laissant les bovins derrière eux.

Une poignée d’animaux fondateurs a ainsi été à l’origine de la population, entraînant une forte augmentation de la consanguinitéconsanguinité chez leurs descendants. Cette augmentation est souvent associée à une accumulation dans le génome de mutations délétères responsables de dysfonctionnements biologiques et de maladies génétiquesmaladies génétiques. Mais elle peut aussi parfois permettre au contraire leur élimination, un phénomène connu sous le nom de purge. De manière surprenante, nous n’avons observé aucun de ces deux cas de figure. Les 2 000 descendants obtenus en quelques générations semblaient en effet en bonne santé. De plus, notre analyse, qui a mis en évidence une réduction modérée de la diversité génétique, n’a pas détecté d’élimination significative des mutations délétères, mettant d’autant plus en lumièrelumière la singularité de cette population.

Des origines ayant favorisé l’établissement des bovins sur l’île

La caractérisation génétique des animaux a également révélé qu’ils semblaient descendre de deux populations bovines bien distinctes de taurins européens génétiquement proches d’animaux actuels de race jersiaise (env. 75 %) et de zébus originaires de l’océan Indien (env. 25 %). Ces résultats confirment que les bovins introduits sur l’île avaient probablement été sélectionnés par Heurtin parmi les races présentes à l’époque sur l’île de La Réunion, qui comprenaient des animaux proches des jersiais actuels, susceptibles de s’être croisés avec des races locales, notamment des zébus de la région.

Cette spécificité est probablement à l’origine du succès de l’établissement de cette population dans cet environnement inhospitalier. C’est ce que révèlent nos résultats qui mettent en évidence une préadaptation de leurs ancêtres taurins européens aux conditions climatiques de l’île. Les animaux introduits n’ont, semble-t-il, pas été confrontés à un défi bioclimatique important, les conditions climatiques du berceau des bovins jersiais, l’île de Jersey (dans la Manche), étant en effet relativement proches de celles de l’île Amsterdam.

Des mécanismes adaptatifs principalement liés au système nerveux

La découverte de leurs origines nous a également permis de réfuter les hypothèses émises par certains scientifiques, selon lesquelles ces bovins auraient vu leur taille diminuer dans ce nouvel environnement pour s’adapter aux ressources limitées de l’île, un phénomène connu sous le nom de nanisme insulairenanisme insulaire.

Le saviez-vous ?

Qu’est-ce que le nanisme insulaire ?

Le nanisme insulaire est le terme employé pour décrire un phénomène évolutif par lequel des espèces animales de grande taille deviennent plus petites lorsqu’elles vivent sur une ile ou dans un environnement isolé. Ce processus, observé notamment chez certaines espèces éteintes d’éléphants, d’hippopotames ou de mammouths, est dû à des pressions de sélection propres aux îles, notamment la limitation des ressources. Il est souvent considéré comme une réponse adaptative permettant aux espèces d’optimiser leurs chances de survie dans un environnement fermé.
La taille de certaines espèces peut également augmenter dans des écosystèmes insulaires ou isolés par un phénomène évolutif appelé gigantisme insulaire, en l’absence de prédateurs majeurs et de concurrence notamment. Le dodo (le Dronte de Maurice) et les tortues géantes des Galapagos en sont des exemples emblématiques.

D’après notre étude, les animaux fondateurs de cette population étaient déjà proches d’animaux de petite taille (bovins jersiais et de l’océan Indien comme le zébu de Madagascar). De plus, notre analyse d’un panel de mutations génomiques associées à la taille n’a pas révélé de réduction de stature chez les bovins de l’île Amsterdam en comparaison avec les bovins jersiais et les zébus de Madagascar. Cela suggère la mise en œuvre d’autres mécanismes adaptatifs leur permettant d’optimiser leurs chances de survie dans cet environnement isolé.

C’est ce que corroborent les empreintes laissées par la sélection naturellesélection naturelle détectées dans le génome de ces animaux. Elles contiennent en effet des gènesgènes préférentiellement impliqués dans le fonctionnement du système nerveux qui a sans doute joué un rôle primordial dans l’adaptation de ces bovins à l’environnement inhospitalier de l’île et dans le processus de féralisation.

Ces résultats sont en accord avec les modifications comportementales observées chez les bovins de l’île Amsterdam, qui ont accompagné et contribué à l’augmentation de la population sur l’île et à sa féralisation. Une organisation sociale complexe de la population, similaire à celle des bovidés sauvages, associée à l’apparition d’un comportement farouche chez ces animaux, a en effet été décrite par plusieurs observateurs. Ces derniers ont notamment identifié des groupes structurés de façon matrilinéaire, composés principalement de femelles et de mâles jeunes à subadultessubadultes, des groupes séparés géographiquement composés exclusivement de mâles adultes et/ou subadultes, et des groupes mixtes généralement formés au début de la saisonsaison de reproduction par l’incorporation de mâles adultes dans les groupes de femelles.

Notre étude a également mis en évidence l’action combinée de plusieurs gènes contrôlant les traits complexes impliqués dans la féralisation, et suggèrent que des mutations déjà présentes dans le génome des animaux fondateurs ont joué un rôle dans l’adaptation rapide (quelques générations) de la population bovine de l’île Amsterdam à la vie sauvage.

Une population entièrement abattue en 2010

Cette étude de cas unique a révélé des informations précieuses sur plusieurs processus évolutifs. Elle souligne de plus l’importance de préserver l’héritage génétique des populations féralesférales de grands mammifères et soulève des questions éthiques au regard des efforts de conservation à mettre en œuvre.

En effet, en dépit de son intérêt scientifique, la population bovine de l’île Amsterdam a été entièrement abattue de manière précipitée en 2010, année internationale de la biodiversité sauvage (faunefaune et flore naturelles) et domestique, sans qu’aucun échantillon biologique ne soit prélevé à cette occasion.

Les vaches demeuraient perçues par certains comme une menace majeure pour l’écosystèmeécosystème insulaire (piétinement, surpâturage) et en particulier pour deux espècesespèces endémiquesendémiquesl’arbuste Phylica arborea et l’albatros d’Amsterdam Diomedea amsterdamensis .

Cette vision a persisté malgré les efforts déployés pour limiter l’impact des bovins sur l’environnement notamment par le contrôle et la réduction du cheptel à environ 1 000 en 1988, puis 500 animaux en 1993, et par la constructionconstruction de clôtures enfermant les bovins dans une zone d’environ 12 km2, située hors de la zone de présence des albatros d’Amsterdam et des phylicas. Les services écosystémiques rendus par le troupeau tels que le débroussaillement et le maintien d’une zone pare-feupare-feu autour de la base scientifique, bien connus de l’administration, n’ont pas davantage été pris en compte.

Ces rôles, jadis essentiel dans la préventionprévention des incendies, sont malheureusement remis au premier plan en ce début d’année par l’incendie déclaré sur l’île.

L’élimination totale de la population a finalement été préférée au maintien d’une partie du troupeau accompagné de mesures de contrôle et/ou d’éradication des espèces qui menaçaient plus directement la faune et la flore endémiques telles que les rongeursrongeurs et les chats. Ces mesures ont finalement été mises en œuvre en 2024, quatorze ans plus tard, dans le cadre du projet de restauration des écosystèmes insulaires de l’océan Indien.

Cette éradication était-elle nécessaire ?

La réhabilitation écologique de l’île Amsterdam nécessitait-elle donc l’élimination de cette population ? Il nous semble difficile de répondre de manière définitive. Il nous paraît néanmoins essentiel dans ce contexte, avant toute décision concernant l’avenir des populations exotiquesexotiques devenues férales, y compris leur éventuelle éradication, de mettre en place une collecte systématique d’échantillons biologiques afin, a minima, de les caractériser génétiquement.

Il convient de rappeler que, dès 2009, quelques voix, parmi lesquelles celles de vétérinaires, d’agronomes et de généticiensgénéticiens des populations (pétition transmise en mai 2009 au préfet des TAAF et communiqué du 10 mars 2010, parfois relayées en ligne et également au Sénat s’étaient déjà élevées pour questionner le bien-fondé et les conditions de cette éradication réalisée sans concertation scientifique large.

Leur intention n’était pas de remettre en question la nécessité de sauvegarder les espèces sauvages endémiques, mais de souligner l’importance écologique et évolutive de cette population bovine singulière (ainsi que d’autres populations de ruminants introduits dans les TAAF). Son sort a été en effet rapidement scellé, sans étude scientifique préalable de son passé démographique et adaptatif, ni aucune prospective sur l’intérêt zootechnique et donc économique qu’aurait pu avoir une telle population. Ces scientifiques tenaient à défendre la biodiversité domestique, souvent mal considérée et donc négligée par rapport à la biodiversité sauvage.

Ainsi, l’origine domestique de cette population bovine férale perçue par la plupart des environnementalistes comme dénuée de valeur patrimoniale, associée à la volonté d’un retour à une nature originelle idéalisée, a pu accélérer les décisions prises par les gestionnaires de la réserve naturelle nationale. Pourtant, ces bovins ne portaient alors aucune atteinte aux albatros d’Amsterdam, espèce emblématique de l’île, qui désormais protégés, n’étaient plus dans l’attente d’une action de sauvegardesauvegarde urgente.

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