« Des explorateurs doivent ouvrir la voie avant que puisse se développer une filière hydrogène industrielle »

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Dans la famille Piccard, on semble taillé pour l’aventure scientifique. Le grand-père, Auguste, est celui qui a inspiré le professeur TournesolTournesol de Tintin. Celui, aussi, qui a inventé la capsule pressurisée pour accomplir la première ascension dans la stratosphèrestratosphère. Le père, Jacques, explorait les fonds marins et a réussi la première plongée dans la Fosse des Mariannes. Le petit-fils, Bertrand PiccardBertrand Piccard, a été le premier à accomplir un tour du monde sans escale à bord d’un ballon, le Breitling Orbiter 3. C’était en 1999.

Pas moins de 25 ans plus tard et un autre exploit derrière lui — celui d’un deuxième tour du monde, cette fois à bord d’un avion, le Solar Impulse, volant à la seule énergie solaire ; c’était en 2016 –, le médecin environnementaliste nous embarque aujourd’hui pour une nouvelle aventure. Celle de Climate Impulse. Celle d’un tour du monde sans escale à bord d’un avion à hydrogène vert.

Bertrand Piccard relève le défi vertigineux d’un tour du monde sans escale avec un avion à hydrogène vert

« Cette envie de montrer les capacités de l’hydrogène, je l’ai depuis longtemps, nous confie Bertrand Piccard, une étincelle dans les yeuxyeux À l’époque de Solar ImpulseSolar Impulse, j’avais déjà envie de me lancer dans l’aventure avec l’hydrogène. Mais les technologies n’étaient pas suffisamment au point. Les rendements n’étaient pas au rendez-vous. Alors, j’ai basculé sur un avion solaire. Tout en gardant dans un coin de ma tête, l’idée de construire, un jour, un avion à hydrogène ».

Climate Impulse, une aventure humaine

L’idée. Mais plus tout à fait l’énergie, finalement. Et c’est une rencontre qui a tout fait basculer. Sa rencontre avec Raphaël Dinelli. « Lui aussi rêvait de faire un tour du monde dans un avion à hydrogène. Entre nous, ça a tout de suite matché. À la tête d’un bureau d’études spécialisé en mobilité et en énergies propres, 49Sud, il avait toutes les compétences sous la main pour développer puis construire l’avion adéquat. Moi, j’arrivais avec mes relations. Les partenaires de Solar Impulse qui n’attendaient qu’une chose : un nouveau projet ambitieux. »

Avec les premiers plans dessinés par les équipes de Raphaël Dinelli, Bertrand Piccard a frappé à la porteporte d’Airbus. C’était il y a trois ou quatre ans. « Je voulais, très tôt dans l’histoire de Climate Impulse, avoir l’avis d’un spécialiste. Les ingénieurs d’Airbus m’ont confirmé que notre projet tenait la route. À condition d’y apporter quelques modifications. Notamment concernant l’aérodynamisme de notre avion. » Voilà comment les deux aventuriers se sont retrouvés avec, entre leurs mains, les plans d’un avion à hydrogène qui pourrait être vraiment capable de boucler un tour du monde sans escale et sans émission.

Le projet d’un avion à hydrogène

Mais tout n’était pas joué. Encore fallait-il réussir à convaincre les bons partenaires de s’engager. « Breitling Orbiter, c’était mon rêve personnel. Un tour du monde en ballon, poussé par le ventvent. L’esprit de Jules Vernes. Un projet assez romantique, finalement », nous confie Bertrand Piccard à ce stade de l’histoire. « Solar Impulse, au contraire, était un projet hyper technologique qui avait pour but, non pas de promouvoir l’aviation solaire, mais les énergies propres dont nous avons besoin pour lutter contre le réchauffement climatiqueréchauffement climatique. Un projet qui ne cherchait pas à écrire l’histoire de l’aviation, mais bien l’histoire de l’énergie. Climate Impulse, c’est un vrai projet d’aviation. Il vise à montrer qu’on peut décarboner ce secteur. Il est beaucoup plus proche de l’industrialisation que Solar Impulse. C’est pour ça que nous avons pu trouver des industriels pour nous soutenir. »

Avion à hydrogène en 2035 : bonne ou mauvaise idée ? Décryptage d’un expert

Des industriels et notamment Syensqo – une spinspin-off de Solvay spécialisée dans la conception de matériaux à faible empreinte environnementale – qui fabrique justement des membranes de piles à combustiblepiles à combustible d’une part et des composites ultralégers d’autre part. « Forts de ces soutiens, nous avons officiellement lancé le projet Climate Impulse. Et nous avons démarré la constructionconstruction de notre avion en parallèle. » C’était il y a un an. Le chantier a bien avancé depuis. « La rapiditérapidité avec laquelle 49Sud travaille m’impressionne. La moitié des ailes et le fuselagefuselage central sont moulés. Les longeronslongerons sont en construction », nous raconte Bertrand Piccard. Entretemps, d’autres partenaires se sont engagés dans l’aventure : l’Université Mohammed VI Polytechnique pour le programme éducatif, l’Office chérifien des PhosphatesPhosphates qui désire se diversifier dans l’hydrogène, et tout naturellement l’horlogerhorloger suisse Breitling.

Au cœur de la technologie de Climate Impulse

L’engin sera constitué de deux gros fuselages de part et d’autre d’un cockpit. Un cockpit pour accueillir les deux pilotes qui se lanceront dans le tour du monde d’ici 2028 si tout se passe bien. Tout naturellement, Bertrand Piccard et Raphaël Dinelli. Et deux gros fuselages pour embarquer suffisamment d’hydrogène liquideliquide. « La masse volumiquemasse volumique de l’hydrogène liquide est très faible. Nous avons besoin de vingt mètres cubes de réservoir pour emporter la tonne et demie d’hydrogène qu’il nous faudra pour accomplir un tour complet de la planète en neuf jours. » Dans chaque fuselage, également, une pile à combustible – qui transformera l’hydrogène en électricité -, une batterie et un moteur électrique.

Vingt mètres cubes, c’est un gros volumevolume. Le résultat aussi de rendements des piles à combustible qui restent limités. De l’ordre de 60 %. « Même si le rendement de la pile à combustible est inférieur à celui d’une batterie, la différence de poids est énorme. On ne peut pas imaginer embarquer 100 tonnes de batteries dans un avion. En revanche, 1,5 tonne d’hydrogène liquide, c’est possible. »

De l’hydrogène liquide à la pile à combustible

Ceux qui s’intéressent un peu au sujet auront noté que Bertrand Piccard nous parle depuis le début d’hydrogène liquide. Or les piles à combustible ont besoin d’être alimentées par de l’hydrogène gazeux. « Notre hydrogène sera placé dans des réservoirs cryogéniques qui maintiendront l’hydrogène à -253 °C, soit à 20 °C seulement au-dessus du zéro absoluzéro absolu. Mais aussi étanches que soient ces réservoirs, on ne peut pas empêcher une part de l’hydrogène de s’évaporer. Dans le milieu, on qualifie cette part de « boil off« . Et nous allons faire de cet inconvénient un avantage. C’est ce « boil off » gazeux qui sera dirigé vers la pile à combustible pour produire l’électricité dont nous aurons besoin. Nous devrons donc prévoir exactement la bonne isolationisolation pour qu’elle laisse échapper juste assez de « boil off » pour alimenter notre moteur. Fabriquer ce type de réservoirs capables de garder l’hydrogène à -253 °C et suffisamment légers, c’est le grand défi de l’aviation pour le futur. »

Mener l’hydrogène à la masse critique

Parce que Bertrand Piccard en est convaincu. « Dans le futur, nous verrons des avions à hydrogène voler dans notre ciel. Mais avant d’en arriver là, nous devons passer par une indispensable phase d’exploration. Il y en a eu une aux débuts de l’automobileautomobile et aux débuts de l’aviation. Même aux débuts de l’informatique. Rappelez-vous, dans les années 1960, IBMIBM annonçait un marché pour quatre ordinateursordinateurs dans le monde. Dans les années 1980, un téléphone portable coûtait encore 15 000 dollars et avait la taille d’une valise. Aujourd’hui, nous en avons tous au moins un dans la poche. C’est ce chemin que nous devons parcourir avec l’hydrogène. Nous devons atteindre la masse critique, le moment où la production, et en parallèle la demande, deviennent suffisamment importantes pour que les prix baissent. Pour que l’industrie de l’hydrogène se développe. »

L’optimisme du médecin environnementaliste contrastecontraste quelque peu avec les plus récentes études. En ce début d’année 2025, des chercheurs allemands ont par exemple remarqué que moins de 10 % de la production d’hydrogène verthydrogène vert annoncée dans 60 pays à l’échéance 2023 avait été réalisée. « Nous avons peut-être fait une erreur. Parce que nous avons voulu lancer l’hydrogène avec l’industrie. Or l’histoire nous apprend qu’il faut toujours en passer par une phase de pionniers. Regardez le spatial. Il y a eu des pionniers et puis une industrie a pu se développer autour. Je crois que ce moment où les explorateurs ouvrent la voie est capital. Ce sont eux qui doivent prendre les risques. Et c’est seulement une fois que ça fonctionne que l’industrie peut s’emparer des technologies et les développer », analyse pour nous Bertrand Piccard.

Rendre l’hydrogène désirable

« Réussir à rendre l’hydrogène désirable, c’est ce que nous espérons arriver à faire avec Climate Impulse. Et c’est maintenant qu’il faut le faire parce que nous allons avoir besoin d’hydrogène comme appoint de stockage au photovoltaïque et à l’éolien. » Le solaire et l’éolien, en effet, sont des énergies intermittentes qui ne produisent pas nécessairement en regard de nos besoins. Pour les compléter, nous aurons besoin de déployer des moyens de stocker l’électricité. Des batteries. Des systèmes accumulant de la chaleurchaleur ou du froid. Ou encore, l’hydrogène. Car celui-ci peut être produit par électrolyseélectrolyse de l’eau.

Ce processus mobilise de l’électricité – verte ou bas carbonecarbone, pour rester cohérent avec nos ambitions climatiques – pour briser des moléculesmolécules d’eau et en tirer l’hydrogène. Au besoin, cet hydrogène peut ensuite être injecté dans une pile à combustible. Pour en retirer à nouveau de l’électricité. « Il nous faudra choisir le bon moment pour produire l’hydrogène vert dont nous aurons besoin pour notre tour du monde, note Bertrand Piccard. Celui où des panneaux solaires ou des éolienneséoliennes – nous n’avons pas encore fait de choix à ce sujet -produisent alors que la demande est faible. Parce qu’à ce moment-là en particulier, cette électricité devient totalement gratuite sur le plan environnemental ».

Le saviez-vous ?

Côté budget, pour un tel projet de tour du monde sans escale en avion à hydrogène, comptez :

  • environ 45 millions d’euros pour la construction de l’avion ;
  • environ 15 millions d’apports en nature par des partenaires (recherches, compétences, matériel, etc.) ;
  • environ 20 millions pour les opérations (essais, tour du monde, etc.) ;
  • et environ 20 millions pour le programme éducatif.

Car l’autre objectif de Climate Impulse est de communiquer sur l’importance de protéger l’environnement avec des solutions concrètes.

« Avec Breitling Orbiter et avec Solar Impulse, nous avons fait quelque chose qui n’avait jamais été fait auparavant et que beaucoup considéraient comme impossible. Nous avons développé un projet entier sans aucune référence. Nous avons tout inventé de la manière de faire. C’est encore le cas avec Climate Impulse, conclut Bertrand Piccard. Quant à savoir jusqu’où cela nous mènera, il faudra attendre que nous ayons posé le pied à terre à la fin de ce nouveau tour du monde. Nous avons annoncé des dates [comme celle des premiers essais qui doivent avoir lieu à Châteauroux au printemps 2026], mais nous restons humbles. Il y a encore beaucoup de défis à relever d’ici là. Et nous resterons modestes même si nous réussissons ce tour du monde en avion à hydrogène. Car cette réussite, nous la devrons avant tout à notre équipe, à nos partenaires et à la météométéo ».

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